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Interview avec JEAN-PAUL BATH

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Attention : Chef d’Œuvre ! L’école des Beaux-Arts de Paris présente jusqu’au 7 mai l’installation « Nice to be dead » de l’artiste Henri Barande. Inconnu, créant en ermite depuis un demi-siècle, il livre dans une scénographie « coup de poing », des œuvres d’une maitrise esthétique et technique inouïe. Tension, équilibre, sens du mouvement et de l’espace, maniement habile des paradoxes et de la philosophie, c’est une découverte comme on en voit une par décennie au mieux. Exceptionnel !

Barande est une totale découverte : il n’a jamais exposé en France, oeuvrant dans la solitude, hors des réseaux de l’art depuis plusieurs décennies. Découvert tout récemment, puis porté aux nues par plusieurs grands magazines américains (ArtNews, Herald Tribune), par Guy Jennings, Vice-Président de Sotheby’s qui lui donne en 2000 carte blanche pour une immense exposition à Zurich.C’est une sorte de Van Gogh du XXIème. D’une voix calme mais assurée, il m’expose son chemin, si atypique.

Jean-Paul Bath : Le Directeur des Beaux-Arts de Paris, Henry-Claude Cousseau, écrit que votre Œuvre interroge le système de l’art dans son entier. Aurait-on pu passer à côté d’un chef d’œuvre ?

Depuis mon enfance je vis en sculptant et dessinant pour mon seul plaisir, sans aucune nécessité de me penser comme artiste. A 19 ans je me destinais à l’écriture. Quand, à l’âge de 35 ans, j’ai compris que l’art l’emporterait sur l’écriture, j’ai imaginé – sans doute influencé par mon enfance à Carthage – enfermer ma production dans un tombeau : une façon toute personnelle de laisser à la postérité une trace anonyme et mystérieuse. A mes yeux, tout est métaphysique : les installations des artistes contemporains se présentent à moi comme des tombeaux qui s’ignorent.

Vous refusez, dit-on, les propositions des plus grandes galeries ?

A moins que l’artiste ne se décide d’en vivre, l’acte de vendre ses propres oeuvres n’a pas beaucoup de sens. A l’opposé, l’acte de détruire est proche d’une création pure. La réécriture induite par le caractère éphémère de chaque juxtaposition est en soi une destruction : elle fait souffrir en même temps qu’elle libère. C’est une séparation, une perte plus profonde que la cession d’une oeuvre.

Comme Proust, vous pensez que la réalité prend forme dans la mémoire ?

La mémoire nous entraîne dans une réécriture permanente, c’est pourquoi elle se confond avec la vie : les « citations » d’oeuvres du passé permettent d’aller à la rencontre d’une autre essence. C’est ainsi que dans un des tableaux exposés, la trace réécrite presque effacée d’un tableau de Gauguin laisse son empreinte sur la toile devenue une sorte de suaire, laissant penser si fort que tout a une fin. L’œuvre est éphémère, l’éternité aussi.

A l’image de Jed Martin dans le dernier roman de Michel Houellebecq, vous aviez besoin de faire table rase pour suivre votre inspiration ?

Houellebecq livre un magnifique portrait de l’artiste, il le prend comme il est : différent des autres autant qu’indifférent aux autres. L’artiste ne demande aucune reconnaissance à la société puisqu’il ne peut se reconnaître que dans la solitude, face à lui-même. Cette dimension de l’artiste, seul un grand écrivain peut la saisir. J’observe, en m’amusant, que Jed Martin est l’anagramme, quoiqu’imparfait comme la plupart des anagrammes, de mon propre nom. L’artiste est davantage l’homme des frontières que celui des territoires : il n’a pas vocation à l’occuper. Il n’y a pas de juste partage. Il n’y a ni territoire ni partage.

Marcel Jouhandeau disait « Elle trouvait cela juste, son ingratitude avec moi et l’ingratitude de ses neveux avec elle ». Il y aurait un équilibre dans le déséquilibre ?

Revendiquer un juste retour du don fait naître la douleur de découvrir ce retour impossible. L’équilibre est tout entier dans l’acceptation de donner sans rien attendre en retour, de prendre sans s’imaginer capable de rendre.

Toujours sur le fil des opposés…

Mais aussi des complémentaires. Si ma couleur est le gris, d’autres couleurs s’imposent à moi, des roses vifs, des bleus profonds, des jaunes. Les uns équilibrent les autres. Il en va de même de la frontière entre abstrait et figuratif. Au plus près de la réalité, le cœur de la matière devient abstrait et irréel.